mardi 10 juin 2025

La data et l’IA pour accélérer la transformation de la fonction finance

Pour les directions financières, la maîtrise de la data est d’abord un enjeu d’efficacité interne. Mais elle sert aussi de socle au déploiement d’applications d’IA à même de repositionner la fonction au sein de l’organisation.

Nicolas Doussinet

Directeur DATA X AI

Emmanuel PERRET

Directeur Région Sud-Est France

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Les processus d’élaboration budgétaire et de re-forecast sont des processus critiques devant être les plus fiables possibles. 

La conséquence en est une complexification importante : nombre de paramètres et variables à utiliser, niveau de détail et processus faisant intervenir de nombreux acteurs comme l’explique Nadia Abbassi et Nicolas Doussinet. Une tendance de fond commence à émerger via l’utilisation de la Data Science et de l’IA afin d’assister et accélérer ce processus…

L’élaboration budgétaire est une activité spécifique et sur-mesure pour chaque organisation :  les revenus et les coûts doivent être simulés suivant des scénarios pour lesquels les objectifs doivent être remplis (un scénario réaliste doit l’être, un scénario challengeant doit être ambitieux tout en étant atteignable…).

Les projections sur les revenus et coûts sont à estimer suivant les activités des organisations : une société de retail va estimer ses revenus en fonctions de ses ventes qui sont dépendantes du succès de ses produits, du marketing, prix des matières premières mais également de facteurs externes (conjoncture, inflation…), une société de consulting va faire les estimations en fonction des projets, des recrutements

Pour y parvenir de manière réaliste, il est nécessaire d’impliquer les parties prenantes des niveaux les plus opérationnels jusqu’au C-Level dans des processus itératifs descendants (dit « Top-Down) et/ou montants (dit « Bottom-up »). 

Ce budget une fois construit doit être une véritable boussole pour l’organisation et va devoir être réajusté en fonction de la réalité pour en évaluer l’atterrissage à fin d’année. Suivant les contextes et les environnements, certaines organisations sont amenées à faire ce processus dit de « Re-Forecast » plusieurs fois dans l’année, mobilisant tout autant un nombre important d’acteurs. 

Les limites et observations des approches classiques 

Les budgets étant produits à des mailles de plus en plus fines, plusieurs problématiques/complexités surviennent : 

  • Accompagnement : ce processus nécessite d’impliquer beaucoup d’acteurs qu’il peut être nécessaire de former et d’accompagner pour construire et valider chaque budget à des mailles locales 
  • Complexité : plus les informations sont nombreuses plus il devient fastidieux d’analyser et d’identifier localement des anomalies (ex : un budget non réaliste construit pour une région/un territoire, ou une Business Unit,…) 
  • Durée : ces processus impliquant différents aller-retours entre les parties prenantes deviennent de plus en plus chronophages et perdent de leur efficacité  

En parallèle, beaucoup de phénomènes et de corrélation sont connus des métiers et peuvent être anticipés, comme par exemple : 

  • La saisonnalité au niveau des revenus et des coûts est un phénomène fréquent (nombres de ventes de produits suivant les mois de l’année, périodes propices aux recrutements…) 
  • La corrélation de variables externes avec des tendances de l’entreprise : impact de l’inflation ou de l’indice PMI sur les ventes, taux de chômage et recrutement… 
La data Science comme catalyseur des processus budgétaires et prévisionnels 

Sur ces constats, beaucoup d’organisation expérimentent et pour certaines industrialisent des approches data sciences totalement intégrées dans leur processus.  

L’IA est un bon outil, en complémentarité de règles métier, pour initialiser différents scénarios à partir de situation à fin d’année N pour une année N+1, à partir d’apprentissage sur des données du passé pour reproduire les tendances, saisonnalités, et éventuellement appliquer des corrélations.

Ces initialisations peuvent être un accélérateur car les opérationnels partent de budgets initialisés par l’IA et peuvent procéder à leurs ajustements qui leur sont donnés par leurs intuitions ou de paramètres non connus par l’IA. Ils disposent ainsi de différentes versions de simulation de manière facilitée et avec des hypothèses explicables à soumettre à leurs directions permettant ainsi un arbitrage plus aisé et plus fiable. Ces directions qui doivent analyser et valider les chiffres consolidés, peuvent avoir, grâce à l’IA, des recommandations sur les budgets locaux présentant des divergences justifiées ou non et nécessitant une analyse fine. 

Dans la même logique, les re-forecast pourront être initialisés par l’intelligence l’IA, en prenant compte le réalisé, mais également des variations des données externes avec la prise en compte rapide d’inducteurs non financiers permettant une meilleure anticipation/prédiction de l’évolution des tendances du marché spécifique aux activités de l’entreprise. 

Pour garantir le succès de cette approche, il est nécessaire que l’IA soit intégrée avec un souci d’assistance et d’explicabilité : les métiers doivent pouvoir comprendre comment les chiffres ont été initialisés, pourquoi une recommandation est faite… Si cette composante est prise en compte, l’adoption en sera garantie et ce processus n’en sera que fiabilisé et accéléré.

Pour les directions financières, maîtriser la donnée, que celle-ci provienne de systèmes transactionnels, de la DAF elle-même, des autres départements de l’entreprise, et de l’extérieur, devient un enjeu central de modernisation. Tant pour renforcer l’efficacité de la fonction, que pour en assurer le recentrage au cœur de la stratégie de l’entreprise.

 

Or, même si la fonction est traditionnellement technophile, elle n'est pas forcément experte de la data et doit faire face à des volumes croissants et à des sources de données de plus en plus nombreuses et variées quelle que soit la taille de l'entreprise. " Un des premiers défis consiste à définir la doctrine et les règles de gestion dans l'ensemble de l'entreprise" souligne Emmanuel Perret, Directeur chez Talan, expert de la transformation de la fonction finance. "Les entreprises ont besoin de gouverner la donnée, en définissant les rôles, les notions, les objets métiers, les traitements, au sein de dictionnaires, pour faire converger les esprits sur des notions essentielles comme le chiffre d'affaires ou la marge."

 

Un point de vérité unique

 

Ce travail d'harmonisation reste difficile. Si les collaborateurs de la DAG sont habitués aux systèmes transactionnels et à la manipulation de données, les efforts en la matière se heurtent parfois à des pratiques bien ancrées. "Une nouvelle culture du pilotage doit alors être impulsée par le haut", insiste Emmanuel Perrret. Et ce, pour répondre à des enjeux clefs de la transformation de la fonction. A commencer par un enjeu d'efficacité. D'abord, l'harmonisation permet de consolider des systèmes auparavant dispersés et de regrouper des équipes y effectuant jusqu'alors des tâches identiques. Ce qui permet de réduire les coûts de la fonction. 

Ensuite, et surtout, cette convergence, dans laquelle la data platform devient le cœur du système d'information, offre à la direction de l'entreprise un point de vérité unique, lui permettant enfin de comparer sur des bases identiques la performance de deux départements ou filiales. Donc de prendre des décisions d'investissement ou de rationalisation sur des bases solides. "Sans oublier le fait que cette vision d'entreprise permet aussi aux collaborateurs de naviguer plus simplement entre différents postes au sein d'un groupe, renforçant ainsi leurs compétences et la culture d'entreprise ", ajoute l'expert de Talan. 

 

Selon ce dernier, la clef de cette refonte réside dans la capacité à " placer le niveau de consolidation au bon niveau ". Autrement dit, le projet ne doit pas forcément viser une standardisation à tous crins, pour toutes les strates de l'organisation. " La convergence partout n'a pas forcément grand intérêt si l'entreprise possède des métiers très différents ", précise l'expert de Talan. " Dans ce cas, il est possible d'imaginer des systèmes avec des modèles différents par activité ou par pays, mais avec une harmonisation sur le haut de la pyramide de consolidation ".

 

IA : au delà des premières automatisations

Ce socle harmonisé apparaît, en effet, comme une ressource essentielle au moment de déployer l'IA. Une technologie pas réellement nouvelle dans les directions financières, qui l'exploitent déjà pour automatiser certaines tâches à faible valeur ajoutée, comme le lettrage, les rapprochements ou les clôtures de comptes. " Ces opérations peuvent être largement automatisées, l'intervention humaine se limitant alors au traitement des exceptions. Et cette tendance va encore se renforcer avec la réforme généralisant la facture électronique ", assure Emmanuel Perret.

Mais les évolution du domaine, autour de l'IA générative et prédictif, amènent par ailleurs de nouveaux usages. " La science de la donnée apporte des aspects relatifs à la scénarisation et à la prévision qui transforment notamment l'élaboration budgétaire, par la prédiction de chiffre d'affaires et des coûts de production ", dit Emmanuel Perret. " L'IA permet de proposer différents scénarios avec des corrélations difficiles à intégrer par un cerveau humain, que ces corrélations soient issues de données internes ou externes ". Par exemple, il peut s'agir de l'actualité autour de chaque point de vente dans une entreprise en comptant des centaines. Ce qui suppose évidemment la disponibilité de données fiables venant soit du socle harmonisé interne, soit de bases externes, par exemple disponibles en Open Data ou via des places de marché.

 

La DAT en acteur de la stratégie

Cette capacité de la DAF à se projeter, à regarder vers l'avant plutôt qu'à seulement analyser le passé, transforme aussi graduellement son positionnement dans l'organisation. En proposant de multiples scénarios de forecasts à un an, en affinant les reforecasts mensuels ou en modélisant rapidement les conséquences d'un choc externe, la direction financière devient une fonction capable d'orienter les dirigeants et de guider les investissements en fonction des performances  futures. " Cette direction doit devenir un acteur clef de la stratégie d'entreprise ", souligne Emmanuel Perret. " Mais elle a aussi un rôle à jouer auprès des opérationnels, et jusqu'au niveau le plus granulaire ; le contrôle de gestion doit permettre d'identifier les performances remarquables, les surcoûts, d'isoler les doublons, etc. "

Ce rapprochement entre données opérationnelles et financières et cette exploitation des innovations apportées par les sciences de la donnée sont inscrits au cœur des évolutions des solutions des éditeurs spécialisés sur le secteur auxquelles viennent s'ajouter les capacités et modèles internes de l'entreprise en termes de Datascience. Des solutions qui projettent aussi les directions financières sur de nouveaux enjeux, comme la durabilité (autour de réglementations comme la CSRD), la prévention des risques psycho-sociaux ou le bien-être au travail. Autant de domaines où l'entreprise doit s'appuyer sur des modèles de données que proposent de plus en plus les outils placés entre les mains des directions financières.

 

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