Approvisionnement : sortez de la dépendance maintenant, votre plan B est-il prêt ?

Le mot « incertitude » ne suffit plus. Comme le soulignait récemment Guy Cormier, Président et chef de la direction du Mouvement Desjardins, nous sommes désormais dans une ère de « confusion ». Cette réalité frappe de plein fouet les manufacturiers québécois qui doivent composer avec des bouleversements géopolitiques majeurs, des changements tarifaires imprévisibles et des chaînes d'approvisionnement de plus en plus vulnérables. 

Face à cette nouvelle donne, comment les entreprises peuvent-elles adapter leur stratégie d'approvisionnement non seulement pour survivre, mais pour prospérer ?

Un portrait préoccupant de la dépendance québécoise

Les résultats d'un rapide sondage mené auprès des participants au webinaire révèlent l'ampleur du défi : la grande majorité des entreprises québécoises s’approvisionnent en Amérique du Nord. Cette dépendance devient particulièrement problématique dans le contexte actuel. 

Nos exportations vers les États-Unis représentent 75 % du total, tandis que nos importations en provenance de ce marché oscillent entre 50 et 55 %. Cette interdépendance nous rend particulièrement vulnérables aux décisions politiques américaines, comme l'illustrent les récents bouleversements tarifaires.

L'impact des tarifs douaniers : entre menaces et opportunités

Une situation exceptionnelle qui exige une réponse d'exception

Selon Christian Sivière, Président de Solimpex, nous vivons une situation « totalement anormale » depuis le 20 janvier 2025. Les menaces de tarifs de 25 % sur les produits canadiens et mexicains ont créé un climat d'incertitude majeur, forçant les entreprises à adopter un « mode survie ». 

La bonne nouvelle ? Le Canada a obtenu une exemption pour les biens respectant les règles d'origine de l'Accord Canada–États-Unis–Mexique (ACEUM). Cependant, cette exemption s'accompagne d'une complexité administrative accrue et d'une imprévisibilité constante qui complique toute planification à moyen terme.

L'exemple des semi-conducteurs : anticiper pour mieux s'adapter

Guillaume Rolland, Vice-président des opérations chez Future Electronics, illustre parfaitement comment une entreprise peut s'adapter proactivement. Confrontée dès 2016 aux premiers tarifs de 25 % sur les semi-conducteurs, l'entreprise a pris une décision stratégique majeure : transformer son centre de distribution américain en zone franche.

Cette transformation, bien qu'exigeant un processus laborieux et des investissements significatifs, permet aujourd'hui à l'entreprise de naviguer plus sereinement dans le paysage tarifaire complexe. L'exemple démontre trois piliers essentiels pour gérer l'impact des tarifs :

1. Développer une expertise interne : maintenir une équipe spécialisée qui reste au fait des évolutions réglementaires 
2. Adapter les flux physiques : repenser la distribution pour optimiser les parcours douaniers   
3. Renégocier avec les fournisseurs : revoir les accords pour clarifier la répartition des coûts et responsabilités

Repenser la gestion des risques : une approche holistique

Au-delà de la vision traditionnelle du risque

Sylvie Noël, Directrice achats et Présidente de l’ADRA (Association des Directeurs et Responsables Achats), apporte une perspective européenne enrichissante sur la gestion des risques. Sa vision ? Intégrer les risques réglementaires et opérationnels dans une approche unifiée. 

Trop souvent, les entreprises séparent ces deux dimensions, créant des angles morts dangereux. Par exemple, ne pas surveiller la santé financière d'un fournisseur stratégique peut entraîner des conséquences opérationnelles immédiates en cas de faillite ou de rachat.

Les nouveaux paramètres du risque

La pandémie, la guerre en Ukraine et les tensions géopolitiques actuelles ont redéfini les contours du risque d'approvisionnement. Les entreprises doivent désormais intégrer dans leur évaluation des risques : 

• La santé financière des fournisseurs : un pilotage proactif pour anticiper les défaillances  
• Le taux de dépendance mutuelle : comprendre ce que représente votre entreprise chez vos fournisseurs   
• Les enjeux ESG et de conformité : des critères qui impactent directement la stabilité opérationnelle   
• Le devoir de vigilance : une obligation légale qui devient un facteur de risque opérationnel 

Vers une catégorisation intelligente des fournisseurs 

L'approche moderne de gestion des risques passe par une catégorisation fine du panel de fournisseurs. Cette segmentation permet d'adapter le niveau de surveillance et de contrôle selon la criticité de chaque partenaire, optimisant ainsi les ressources tout en maintenant une couverture de risques efficace.

Stratégies concrètes de dé-risquage : l'exemple de l'industrie électronique

L'expérience de Future Electronics illustre parfaitement les défis spécifiques à certaines industries. Dans le secteur électronique, la chaîne de valeur en amont est particulièrement intégrée et complexe, avec des fournisseurs majoritairement établis en Asie. Cette réalité limite les options de diversification géographique immédiate.

Face à cette contrainte, l'entreprise a développé une approche pragmatique en trois volets :

1. La renégociation proactive avec les fournisseurs : révision des incoterms, clarification des responsabilités d'importation et partage transparent des impacts tarifaires. L'objectif ? Transformer la contrainte en opportunité de dialogue constructif. 
2. L'optimisation des flux par la zone franche : depuis janvier 2025, l'entreprise force systématiquement tous ses fournisseurs à transiter par sa zone franche, lui permettant de devenir l'importateur officiel et d'échapper aux tarifs sur les réexportations. 
3. Le développement d'outils de simulation : création de simulateurs de tarifs permettant d'évaluer rapidement l'impact sur chaque SKU et d'adapter les stratégies de négociation fournisseur par fournisseur. 

Cette approche démontre qu'il n'est pas toujours possible d'éliminer complètement le risque, mais qu'on peut le relativiser et mieux le partager.

Au-delà des tarifs américains : une approche holistique des risques

Il serait dangereux de concentrer toute son attention sur les seuls tarifs américains. D'autres enjeux réglementaires majeurs méritent une vigilance accrue :

• Les nouvelles lois sur le travail forcé qui exigent une traçabilité renforcée des chaînes d'approvisionnement
• Les sanctions internationales qui peuvent compliquer l'approvisionnement de manière inattendue (exemple : l'interdiction d'importation d'aluminium russe qui impacte même les contenants alimentaires produits au Brésil ou en Turquie)
• Les coûts logistiques volatils qui fluctuent drastiquement selon les annonces géopolitiques

Cette complexité croissante exige de dépenser davantage d'énergie et de ressources sur l'ensemble des questions réglementaires, pas seulement sur les tarifs américains.

L'approche collaborative : force de l'expertise partagée

Face à cette complexité, l'expertise individuelle ne suffit plus. Les entreprises les plus résilientes développent une approche collaborative en :

• Travaillant en réseau avec des associations professionnelles comme Supply Chain Canada ou l’ADRA
• Adoptant une vision transversale multientreprise et multiculturelle plutôt qu'une approche purement verticale
• Échangeant les bonnes pratiques pour identifier des solutions applicables d'un secteur à l'autre

Cette approche horizontale permet de transformer les contraintes en opportunités grâce à la créativité collective et au partage d'expériences.

De la performance à la robustesse : un changement de paradigme

Le contexte actuel marque la fin d'un modèle centré exclusivement sur l'optimisation des coûts et le juste-à-temps. Les entreprises performantes rééquilibrent désormais performance et robustesse en :

• Acceptant une redondance stratégique pour sécuriser leurs approvisionnements
• Renforçant leur gestion des risques pour bâtir des modèles plus résilients
• Repensant leurs relations fournisseurs dans une logique de partenariat à long terme plutôt que de simple transaction

Cette transformation fondamentale exige de regarder l'ensemble de la chaîne plutôt que les relations isolées entre chaque maillon.

Transformer l'incertitude en opportunité relationnelle

Paradoxalement, cette période de turbulence peut renforcer les relations avec les parties prenantes. De nombreuses entreprises ont développé un niveau de complicité inédit avec leurs fournisseurs et clients en traversant ensemble ces défis.

L'approche gagnante consiste à

• Définir des objectifs communs entre directions métiers et équipes d'approvisionnement
• Maintenir une communication transparente sur les contraintes et opportunités
• Adopter une approche agile permettant d'ajuster les accords au fur et à mesure de l'évolution du contexte

Les premiers signes d'une diversification nécessaire

Malgré les défis, des signaux encourageants émergent. Les dernières statistiques du commerce international montrent une baisse des exportations vers les États-Unis accompagnée d'une augmentation vers d'autres pays pour le troisième mois consécutif. Cette diversification naissante suggère que les entreprises québécoises commencent à s'adapter.

Cette tendance, bien qu'encore fragile, ouvre la voie à une résilience accrue des chaînes d'approvisionnement québécoises. Elle souligne l'importance de développer des relations commerciales au-delà du marché nord-américain traditionnel.

Transformer l'incertitude en opportunité

Dans ce contexte de confusion généralisée, les entreprises qui réussiront seront celles qui transformeront l'incertitude en opportunité stratégique. Cette transformation exige trois qualités essentielles :

1. La curiosité : rester ouvert aux approches non conventionnelles et explorer des solutions créatives inspirées d'autres secteurs d'activité.
2. Le pragmatisme : accepter que nous traversions une crise parmi d'autres, ni la première ni la dernière, et développer des modèles plus robustes pour l'avenir.
3. L'agilité : maintenir une capacité d'adaptation continue plutôt que de rechercher des solutions figées dans le temps.

L'expérience européenne, riche en enseignements, montre que la diversification géographique et la sophistication des processus de gestion des risques permettent de maintenir la compétitivité même dans les environnements les plus turbulents. Cette période de turbulence peut paradoxalement renforcer les relations avec les parties prenantes et créer des opportunités de dialogue inédites.

Les manufacturiers québécois ont les atouts nécessaires pour relever ce défi. Leur expertise technique, leur position géographique stratégique et leur capacité d'adaptation sont des avantages indéniables. Il s'agit maintenant de les mobiliser intelligemment en adoptant une vision à long terme qui privilégie la robustesse sur la pure optimisation des coûts.

Une démarche d'accompagnement personnalisée

Face à ces enjeux complexes, chaque entreprise a besoin d'une approche sur mesure. Chez Talan, nous accompagnons les manufacturiers québécois dans cette transformation stratégique, en proposant des solutions adaptées à leur réalité spécifique et à leurs objectifs de croissance. 

Car dans un monde où la confusion devient la norme, la capacité à s'adapter rapidement et intelligemment fait toute la différence entre subir les changements et en tirer parti.