De l’objet au vivant

Le virage santé

En 2020, en pleine crise sanitaire, Bernard Charlès, alors PDG de Dassault Systèmes, annonce un virage stratégique audacieux : élargir l’expertise du groupe à la santé et aux sciences de la vie, passer « de l’objet à la vie ». L’acquisition, un an plus tôt, de Medidata Solutions pour 5,8 milliards de dollars avait déjà ouvert la voie et s’était révélée particulièrement opportune. Leader des solutions cloud pour les essais cliniques, Medidata a en effet joué un rôle clé dans la lutte contre le Covid-19, en gérant 60% des essais cliniques liés au virus dans le monde.

Du Boeing au corps humain

Au cœur de la nouvelle stratégie de Dassault Systèmes se trouve le jumeau virtuel. Dans les années 1990, l’entreprise avait permis à Boeing de concevoir son 777 intégralement en numérique. Aujourd’hui, elle applique cette logique au corps humain. « Il y a eu un avant et un après le Boeing 777 ; il y aura un avant et un après le jumeau numérique du corps humain », affirme Tarek Sherif, cofondateur de Medidata et président du conseil Sciences de la vie et santé chez Dassault Systèmes.

Mais le défi est immense et nécessite d’adopter une approche holistique. Réunir des disciplines scientifiques et médicales extrêmement différentes doit permettre de visualiser, comprendre, tester et prédire l’effet d’un médicament ou le résultat d’une opération avant même de commencer le traitement du patient.

Le projet Living Heart

Lancé dès 2014, le projet Living Heart illustre cette ambition. Développé avec la FDA, des chercheurs, des cardiologues et des industriels, il propose un modèle 3D du cœur humain d’une précision inédite. Personnalisable pour chaque patient, il permet de simuler interventions et dispositifs médicaux avant toute opération réelle. En 2025, une nouvelle génération du modèle, enrichie par l’IA, a été présentée, ouvrant la voie à une médecine véritablement de précision.

3DEXPERIENCE, colonne vertébrale de l’écosystème

La transformation de Dassault Systèmes s’appuie sur la plateforme 3DEXPERIENCE, qui réunit les solutions du groupe : Medidata pour les essais cliniques, Biovia pour la recherche moléculaire, Simulia pour la simulation, Catia et SolidWorks pour la conception, Delmia pour la fabrication, Netvibes pour l’analyse de données.

3DEXPERIENCE permet d’orchestrer l’ensemble du cycle de développement d’un traitement, de la recherche fondamentale à la production, en passant par les essais cliniques et le déploiement commercial. Elle connecte ainsi les différents acteurs de l'écosystème de santé, brisant les silos traditionnels entre laboratoires, industriels, régulateurs et praticiens. L’objectif : améliorer l'expérience du patient et le placer au centre du système tout en intégrant des enjeux cruciaux de confiance, d’éthique et de protection des données.

Compétences et partenariats

Cette réorientation stratégique a nécessité une transformation interne : plus de 4 000 collaborateurs travaillent désormais sur la santé. Dassault Systèmes a recruté médecins, biologistes, data scientists et juristes spécialisés, tout en nouant des partenariats stratégiques. En 2025, l’entreprise a investi dans Click Therapeutics, spécialiste des thérapies numériques, et lancé avec la Fondation FondaMental une base de données pour la recherche en psychiatrie.

Vers la médecine de précision

La vision de Dassault Systèmes converge vers la médecine de précision : l’ère des traitements standardisés laisse place à des approches personnalisées, adaptées au profil génétique, physiologique et environnemental de chaque patient. Le jumeau virtuel en devient un outil central, et la puissance combinée des univers virtuels et des données réelles permet d’envisager une compréhension intégrée du corps humain, de l’ADN à l’organisme tout entier.

Cinq ans après l’annonce du virage santé de Dassault Systèmes, les fondations sont solides. Medidata joue pleinement son rôle, Living Heart progresse, les partenariats s’élargissent. Mais modéliser la complexité du vivant reste un défi scientifique et technologique considérable, et l’adoption de nouveaux outils par les soignants et les autorités prendra encore du temps.